Cœur battant dans ta cage thoracique, douce torture devenue amer, tu patientes dans le bureau de ton père, attendant ton heure d'exécution dans la plus grande des anxiété. Les secondes sont des minutes. Les minutes des heures. Tes doigts s'entremêlent sous ton regard lointain, ton esprit s'étant absenté depuis un bon bout de temps maintenant. Image même de ta nervosité, connue de tous ceux qui te connaissent un minimum. Ça fait combien de temps, Hime ? Combien de temps que tu patientes de la sorte, incapable de trouver la moindre échappatoire. Qu'est-ce que tu fais là, Hime ? Tu n'en sais rien. "C'est pour te faire découvrir un nouveau secteur de la société". C'étaient là les mots de ton père. Certes. Mais ne pouvais-tu pas découvrir ce secteur seule ? Différemment ? À quoi vas-tu servir, Hime, si ce n'est être une fleur exposée au regard de tous ? Quelle belle blague.
La ligne sonne, doux son agressant pourtant tes oreilles, te faisant sursauter comme si une explosion venait d'avoir lieu non loin de toi. Bouton pressé par ton père, voix féminine résonnant dans toute la pièce.《 Monsieur Nakajima va arriver. 》Tu inspires, expires et te redresse, prête à suivre ton père. Il te sourit. Toi, tu te forces à sourire. Tu sais qu'il veut te rassurer mais ce n'est pas aussi simple. Pourquoi... Pourquoi t'a-t-il demandé de venir ? Pourquoi avec cet homme ? Tu es songeuse, Hime. Sera-t-il là lui aussi, amour perdu, symbole de ton échec ? Tout brûle en toi. Tout jusqu'à la dernière seconde. Jusqu'à ce que les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Jusqu'à ce dernier pas en direction de ces individus inondés de prestance. Jusqu'à ce que ton père les salue comme il se doit dans le milieu. C'est à ton tour et tu le sais. Souris. Garde la tête haute. Montre que tu n'es pas juste une biche apeurée. Montre que toi aussi, tu possèdes une certaine force. Montre cette part de toi que tu n'avais quasi jamais montré auparavant.《Bonjour, Monsieur Nakajima. Soyez le bienvenue.》Main tendue à l'un, politesse l'oblige dans le milieu. D'autant plus que cet homme ne t'est pas totalement inconnu. Tu récupères ta main, la déplaces d'un geste gracieux. À lui de la saisir. À Mirai. Toi, tu as fait le pas et tu ne trembles pas.
Ton père vous entraîne vers la salle de réunion. Tu suis le pas, marchant aux côtés de Mirai, légèrement en retrait derrière vos pères qui discutent déjà. Est-ce un hasard, Hime ? De vous retrouver ici-même, aujourd'hui. Tu ne sais pas si tu dois douter ou juste penser que tout est normal. Ça te frustre. Mais il n'y a pas de marche arrière possible.《 Tu es venu assister ton père ? 》Tu regardes toujours devant toi, la voix ni trop basse ni trop haute. Juste ce qu'il faut pour que seul le concerné l'entende.《 Si c'est un hasard, je n'aime pas ça. 》Ce n'est pas le fait de revoir Mirai, d'être proche de lui, qui te dérange. C'est que les choses se passent de cette façon. Et tu sais très bien que ton ami d'enfance saura te comprendre.
So many times I could've held on I still can't believe I left you alone It tore me down to pieces, she'll never know How much I wished, I never let you go
Paroles de chanson qui résonnent dans tes oreilles. Geste maladroit du chauffeur qui souhaitait simplement rendre l'atmosphère moins tendue. Et pourtant, tout cela est d'une douce ironie Mirai. À croire que le jour ne faisait qu'empirer de minute en minute. Tourment discret, involontaire. Juste un coup du sort. Tout cela ne t'amuse pas Mirai, au contraire, ton visage se crispe davantage. Tes doigts craquent sous la pression que tu leur fais subir et ton père rigole de la situation. Tu es hors de toi. Manigance fourbe de celui qui se joue de ta vie. Tu n'es que de l'argile qu'il façonne sous ses mains depuis des années. Un jeu sournois auquel il prend plaisir à torturer. Tu aurais dû te méfier Mirai. Depuis que tu avais décidé de reprendre l'affaire, il t'avait laissé faire. Laissé apprendre. Sans jamais intervenir, jamais dire quoique ce soit. Bêtement, tu pensais qu'il étais fier. Pour une fois. Que tu faisais les choses bien, qu'il n'avait pas besoin de venir mettre son grain de sel. Tu avais tout appris. Tu connaissais tout ce qu'il fallait connaître. Alors pourquoi as-tu été aussi bête ? Pourquoi ne pas t'être méfié lorsqu'il t'a dit qu'il voulait que tu l'assistes sur ce projet ? C'était tellement évident. Mais tu as baissé ta garde Mirai. Tu t'es laissé embobiner et le résultat est là. Les dents serrées, la mâchoire sur le point d'imploser.
« Arrête-moi cette merde. » Ordre donné alors que tu frappes au carreau te séparant du chauffeur, tes coups plus violent que tu ne voulais. Ton masque est tombé, et ton paternel à l'air de s'en réjouir.
« Qu'est-ce qu'il y'a Mirai ? Tu m'as l'air tendu. »
Rictus jubilatoire plaqué sur son visage. Tu as chuté dans son piège. Tu le hais. À chaques seconde, encore plus que la précédente. Ce temps, passé dans cette voiture, le rend encore plus exécrable à tes yeux. Depuis le début, tout cela ne doit être encore qu'un de ses plans pour faire de toi un homme. Ce que tu étais devenu n'était-il pas suffisant ? Comment avais-tu changé depuis la dernière fois que tu l'avais vu Mirai ? Elle, celle qui t'a offert ce que ta propre mère n'avais jamais su te donner. Elle qui a panser tes blessures pendant tant d'années. Tout ça pour que tu la rayes de ta vie, comme si elle n'avais rien été. Tu espérais au fond de toi ne pas la croiser. Tu espérais que le monde t'accorde au moins ce souhait.
« J’espère que tu t'amuses bien là. » Froid, replaçant ta cravate comme si tu reconstruisais cette image de façade que tu ne parviens jamais à maintenir en sa présence. Parce qu'il sait où ça te fait mal Mirai. Il connaît tes points faibles, c'est lui-même qui les as crées. « Je me laisserais plus prendre. »
La voiture s'arrête face à ce grand bâtiment. Cet endroit que tu as de nombreuse fois visité pour les mêmes raisons qu'aujourd'hui. Pourtant, tu es anxieux Mirai. Parce que c'est la première fois depuis.. Depuis quoi Mirai ? Depuis que tu as décidé de tirer un trait sur ton passé. Faisant partir en fumée les illusions et les souvenirs heureux, les espoirs enfantins, les amours innocents et ceux plus profond et sincère. Depuis que tu es devenu cet être sombre et orgueilleux. Cet homme hautain et méprisable. Calque parfait de ton paternel. Ton dos se redresse alors que tu te tiens dans l'ascenseur. Voile d'insensibilité. Inexpressif. Dressant de plus belle cette distance entre toi et les autres. Les portes s'ouvrent. On décèle sur ton visage les craquelures d'une colère. Diriger contre tous, mais contre personne à la fois. Tu salues, impassible, l'homme face à toi avant que ta main ne se dirige vers elle. Reste professionnel Mirai. Professionnel. Tes doigts glissent sur sa main pour la serrer. Geste court. Juste ce qu'il faut. Tu refuses l'idée de te complaire dans la chaleur de sa peau, même pour un instant.
Vos pas suivent silencieusement vos pères dont les affaires ne semblent pas attendre d'avoir atteint la salle de réunion. Tes yeux ancrés sur le crâne de ton géniteur, tes lèvres serrées, tes doigts qui craquent alors que tu enfouis tes mains dans tes poches. Comme fuyant le moindre risque de contact. Mirai, de quoi as-tu si peur ? Pourquoi es-tu si tendu ? Ta tête se meut d'un geste affirmatif à la question de celle qui se tient à tes côtés. Venus assister ton père. Tu rigolerais presque.
« Ça ne me plaît pas plus qu'a toi. » Paroles succinctes. Exprimer ton ressenti sur la situation. Elle devait se douter que le sentiment fût partagé. Cela faisait des semaines que vous ne vous étiez pas croisé, que tu l'évitais, que tu avais arraché le fils qui vous reliez. « Mais tachons de rendre les choses amusantes veux-tu Hime ? » Un sourire aussi faux que tout ceux que tu présentes maintenant. Reprenant le dessus sur ta propre personne. Regrettant tout ce que tu laissais passé depuis que tu étais sortie de la voiture. Tu n'es plus le petit garçon qu'elle avait connu. Ton sourire glisse sur tes lèvres alors que tu te rapproches doucement de la jeune femme à tes côtés, suffisamment pour que tes mots la frappent elle. « Dit moi, je te manquais princesse ? »
Tu n'es pas aveugle, Hime. Ni sourde. Le langage corporel de celui que tu aimes ne trompe pas. Pas toi. Pas toi qui a passé des années entières à l'écouter. À l'observer du coin de l'œil. Tu l'as vu de près. Tu l'as touché. Tu as été son refuge. Douces années jetées au feu dont tu as conservé les cendres. Ton sang chauffe dans tes veines. Tu veux partir. Non loin de Mirai mais loin de vos paternels. Est-ce qu'ils aiment ça, Hime ? Est-ce qu'ils aiment vous torturer à ce point ? T'es prête à ignorer ta frustration. T'es prête à jouer les filles sages. Mais voir les lèvres de celui qui fait battre ton cœur aussi serrées, entendre ses doigts qu'il tente de camoufler craquer... Tu n'es pas prête à l'accepter. Quelque chose gronde en toi. Quelque chose que tu détestes. T'as juste envie de lui prendre la main, geste tendre et rassurant. Tu veux juste enlacer ses doigts des tiens, caresser sa peau de ton pouce. Lui dire que tout ira bien. T'as envie de poser ta tête sur son épaule, de lui apporter un peu de ta chaleur. C'est une torture, Hime. Tu pouvais te permettre tout ça et bien plus encore. Et maintenant... Que te reste-t-il ? Rien. Rien à part tes souvenirs. Rien à part tes envies. Rien à part l'envie de hurler, d'exprimer ta frustration. Mais ce serait une honte. Ce serait jouer les adolescente rebelles et ça, ton père ne l'accepterait pas.
Pourquoi, Hime ? Pourquoi ce simple chemin que tu as pourtant suivi plus d'une fois devient soudainement un couloir de la mort ? Tu n'es pas bien. Et les paroles de Mirai, qui t'ont faites hausser un sourcil, semblent avancer ton exécution. À quoi joue-t-il ? Est-ce qu'il aime à ce point te torturer ? Que cherche-t-il à faire ? À se convaincre ? Tu ne peux pas n'être devenue qu'un jouet de plus à ses yeux. Tu n'as rien à voir avec ces pauvres filles qui tombent dans ses filets le temps d'une nuit et qu'il marque pourtant à vie. Marques qu'une part de toi espère n'être que honte pour elles. Qu'elles restent loin. Qu'elles fanent. T'as envie de lui cracher ça au visage, là tout de suite. De faire comprendre à Mirai qu'il n'a pas le droit de te confondre avec elles. Ou du moins, de tenter de le faire. Peu importe si jouer à ce petit jeu est plus facile pour lui. T'es prête à accepter beaucoup de choses. Pour le voir sourire. Pour le voir serein. Mais pas ça. Pourtant, tu te retiens. Tu ne veux pas qu'il découvre cette part de toi. Tu en veux pas que le sanctuaire que tu as un jour représenté pour lui s'effondre. Surtout pas aujourd'hui. 《 Tu connais déjà la réponse. 》Du calme, Hime. Inspire. Expire. Tu tournes la tête en sa direction, croisant son regard, le suppliant du tiens d'arrêter ce petit jeu immédiatement. Car tu l'aimes et il le sait. Car sentir son souffle aussi proche de toi, chaleur pourtant censée t'être apaisante, devient source d'anxiété dans le contexte actuel des choses. 《 Ce n'est pas que je ne veux pas m'amuser, même si on n'a pas la même définition de s'amuser en cet instant précis... Mais j'ai une meilleure idée. 》Parce que tu n'as pas envie de craquer. Parce que là, t'as juste envie de lui demander ce qu'il cherche... Mais cela reviendrait à aborder un sujet que tu ne souhaites pas aborder en présence de vos pères. Bien sûr, tu as envie de réparer les choses. De retrouver "ton" Mirai, celui que seule toi avait le droit de connaître. Mais pas parce que vos pères vous ont réunis en ce lieu. 《 Tâchons de ne pas nous faire plus de mal que nécessaire durant cette rencontre. Je n'aime pas te voir comme je t'ai vu lors de ton arrivée. 》Tu détournes le regard, tes yeux bleus fixant le dos de ton père. 《 Ne me fais pas souffrir davantage, s'il te plaît. 》Parce que toi, s'il a encore un minimum d'affection pour toi (et au fond de toi, tu sais que c'est le cas, au fond de lui), tu ne veux pas lui faire du mal en craquant devant lui.
Accueil
